lundi 21 janvier 2008
Partie 1
Le flic. J'en suis l'archétype ultime, et je m'y complais. Un psy aurait probablement dit que j'ai surement un truc à prouver, pour me complaire à ce point dans le personnage, jusqu'à aller visionner des films noir des années cinquante pour me donner les accents, les mimiques, les gimmicks à utiliser. Mais moi, j'en ai rien à fiche des avis d'un toubib qui ne savait rien de la réalité du terrain, un autre de ces fonctionnaires bureaucrates dont la seule ambition est de faire chier le monde le plus possible, avec le maigre pouvoir dont ils disposent. J'y fais souvent des passages, devant le psy. C'est la règle, maintenant. Tu sors ton calibre parce que tu sens qu'un truc va mal tourner, tu commets l'erreur de ne pas l'écrire dans ton rapport, tu te retrouve avec un entretien individuel chez un digne pandore de l'inspection générale des services, et si tu l'écris, tu as le droit à une visite chez le dingologue, soit-disant parce que tu canalises mal ton stress. Mais voila, dans la rue, parfois, il n'y a souvent qu'un seul moyen de dénouer une situation, et ce moyen, c'est de faire briller ton chrome devant le nez du délinquant qui a décidé qu'il va, au choix, te faire la peau, ou la faire à quelqu'un. Je pense à tout ça en montant dans ma bagnole achetée à crédit avec la maigre solde que me verse l'état, mon indemnité de fonctionnaire ministériel. Quatre ans d'études post-bac pour en arriver là, à gagner 1500 euros par mois pour courir le risque de me faie trouer la peau par n'importe quel trouduc en mal de sensation forte qui a décidé de se faire un flic pour rentabiliser sa pilule d'ecsta. La bagnole démarre au quart de tour. Faut reconnaitre tout de même que l'on a de bons mécanos dans la police, les gars du garage me l'ont réglée au poil, elle est bichonnée une fois par mois. Je réajuste ma cravate en jetant un œil dans le rétro avant de passer la première, et soupire un grand coup en lâchant l'embrayage. Le GPS m'informe que je n'ai pas choisi de destination. Il le sait mieux que moi, cet appareil doit lire le vide entre les deux oreilles qui me sert de pensée. J'avais décidé de prendre une grande bouffée de calme en roulant sans but, avant de rentrer dans le trois-pièce minable que je partage avec le glandu qui gagne trois fois mon salaire à pianoter sur un ordinateur son gros cul posé sur une chaise de bureau grand standing. Un glandu, ouais. Je roulais encore, et encore, frôlant la limite autorisée dans les petites artères du 13ème, seul moyen légal, hors circuit, que j'avais trouvé de prendre un peu de plaisir en conduisant. Je suis un peu calmé, une chanteuse pop anglaise à la voix aussi pâle que ces chansons sont sans intérêt crachouille sa haine des hommes à la radio. Je tourne à gauche rue de Tolbiac, je ne passe pas loin de l'avant d'un autobus, je lui fais une queue de poisson, je sors ma main par la fenêtre pour adresser au conducteur du bus un doigt d'honneur vindicatif. Je dépasse un peu la limite pour doubler par la voix pour bus un papy qui se traine dans une bmw dernier cri. La musique change, et c'est un vieux rockeur français qui devrait être mort, mais dont le sang a été remplacé par un mélange whisky-cocaïne qui se met à brailler dans mes enceintes. J'arrive en vue de mon immeuble, et je décide soudain de voir si le virage pour accéder au parking peut se négocier à plus de 50 kilomètres par heure. J'accélère un peu, je me rends compte de mon erreur, et je mets un grand coup de frein à main pour immobiliser la voiture, en imprimant à mon volant un grand quart de tour. Mon pare-choc s'arrête à quelques millimètre du volet roulant. Volet dont l'existence m'était totalement sorti de la tête quelques instants plus tôt. Je notais d'appeler la prochaine fois Romain pour qu'il me l'ouvre quand il verrait ma bagnole tourner au coin de la rue. Je gars la voiture à l'emplacement 68, qui nous est reservé à Romain et moi, mais ce gros parasite n'a pas de bagnole, parce que, je cite "Dans Paris ça sert à que-dalle." La voiture bippe, et clignote des phares quand j'actionne le bip juste avant de rentrer dans l'ascenseur. Il est tagué de partout, et la vitre qui a diligemment été remplacée la semaine dernière est de nouveau brisée, laissant à nu le dos de l'appareil. Ça ne rassure pas, quand on se rend compte que les murs de l'ascenseur sont moins épais qu'un papier à cigarette spécial cannabis. On parle de temps en temps de l'instinct de flic. Ce que j'en dis, c'est que je ressens ça plutôt comme une odeur. Une sale odeur de déjection, un truc immonde, que je sens dans mes narines. Normal, l'instinct de flic, après tout c'est flairer la merde. Et là, précisemment maintenant, ça pue. Ça pue grave. A tel point que je cherche par reflexe mon pétard dans son holster vide, pétard laissé au commissariat, normal. Je jette un œil autour de moi. Trois portes sur le palier. La mienne, celle de gauche est défoncée. Merde, je crachote entre mes dents. La porte baille, la serrure est un cauchemar pour serrurier. J'ai quand même une pensée pour Romain, espérant que cette larve eusse faite sa sortie annuelle lors de la visite. Le quartier est pourtant tranquille habituellement, depuis qu'un préfet un peu zélé a fait descendre le RAID dans la rue adjacente. Le RAID, pour une dizaine de racaille un peu énervées ... Ouais, encore un fonctionnaire ... Je m'approche de la porte, je guette le moindre bruit qui pourrait m'indiquer qu'il y a des visiteurs indésirables dans l'appartement. Visiblement, il n' a pas âme qui vive dans le coin. Je pousse la porte doucement. A première vue, je ne constate rien de particulier. Certes Beyrouth au milieu d'une des innombrables guerres israëlo-libanaise ressemble à une piaule d'étudiante anglaise à côté de notre salon, mais rien ne semble avoir bougé. J lance un regard dans la cuisine, m'arrête sur le tas de vaisselle un instant, les moisissures qui vivent là ont surement inventé la roue, c'est qu'elles ont eu du temps pour se développer depuis la dernière fos où quelqu'un a fait couler de l'eau du robinet de l'évier. Ma chambre, rien à signaler, la salle de bain, non plus. La piaule de Romain, par contre, un carnage. Du désordre habituel nous sommes passé à l'expression artistique d'un cubiste muni d'un lance grenade qui se serait mis en tête de faire la décoration d'intérieur. Les objets, ordinateur en tête, gisent partout, éparpillés en diverses morceaux improbables. Et sur le lit, m'attends une sacrée surprise. Là où je pensais trouver un Romain ligoté ou inconscient, je trouve une fille, qui fut blonde, et qui fut mignonne. Mais avec un trou dans la tête genre gros calibre à bout portant, elle est tout de suite moins éligible pour le concours de Miss France. Le sang coule encore de la blessure, fraiche, donc. Et merde. Je retourne vers la salle de bain, bien déterminer à rendre le repas de ce midi, qui commence à vouloir remonter par grands à-coup spasmodiques. Et dans la tête au dessus de la cuvette, je remarque un détail que je n'avais pas vu quelques minutes plus tôt. Notre rideau de douche n'a jamais eu de motifs rouges. Je l'ouvre du bout de doigts, et vois le corps sans vie de Romain, les membres bizarrement arrangés. Visiblement, à moins que l'on ne se soit acharné sur son cadavre, ses dernières heures n'ont pas du être une partie de plaisir. Monde de merde.
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